Jouet de l’enfance par excellence, objet de fascination chargé de sens, la voiture se heurte au changement climatique…
Avec AUTO, Aurelia Ivan (Compagnie Tsara) fusionne le théâtre d’objets, la danse et l’art lyrique pour explorer cette tension entre nos imaginaires et la réalité qui s’impose à nous.
La presse en parle :
Aurelia Ivan poétise notre lien à l’automobile
« Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique », écrivait Roland Barthes dans le chapitre consacré à « La Nouvelle Citroën » de ses célèbres Mythologies publiées à la mi-temps du XXe siècle. Si elle ne le cite pas directement, la nouvelle création d’Aurelia Ivan, intitulée Auto, tend à regarder autrement « ce qui va de soi », désaxe les représentations faciles et courantes autour de l’imagerie automobile et son autoroute de connotations à la chaîne. Soucieuse d’explorer les possibles formels de la scène, elle déploie sa recherche sur quatre axes à parts égales, comme pour mieux s’autoriser les tâtonnements et les sorties de route, forte de sa stabilité sur quatre roues : un texte poétique qui avance par bribes et à-coups jusqu’à muter en mélopée chantée et s’envoler dans les hautes sphères célestes, la gestuelle précise et tranchante d’une danseuse en mutation incessante, la valse des accessoires pris dans les mailles de la lumière et les mains des interprètes. Car ici, tout est mouvement, jusqu’à la peinture blanche qui s’efface, répand ses traces (de pas ou de pneus), et la scénographie dans son ensemble ondoie en parallèle, de métamorphoses subtiles en changements évidents.
À la tête de la compagnie Tsara, qui, dans sa sonorité, à une lettre près à peine déformée, évoque l’un des pères du dadaïsme – Tristan Tzara –, Aurelia Ivan déploie une esthétique quasi synesthésique de fragmentation onirique dans un espace plastique en porosité avec les expériences menées. Pour ce faire, elle s’appuie sur la langue hautement musicale de deux immenses poètes contemporains, Christophe Tarkos et Jacques Rebotier, dont elle confie des morceaux textuels en lien plus ou moins étroit avec son motif à la soprano Margaux Loire, qui use de sa voix parlée ou chantée pour nous les adresser, les étirer comme de la pâte à modeler, en accélérer le tempo et jouer avec toute leur gamme chromatique. Concrets ou évanescents, conjuguant à l’infini des temporalités le verbe se mouvoir, traquant l’euphorie de la vitesse et le sentiment de liberté, sans oublier l’écueil toujours présent de l’accident, ces petits pans de réflexions amusées ou amusantes se jouent de ce que véhiculent les sonorités de la langue et avancent en contrepoint de la présence muette d’une silhouette énigmatique qui inscrit sa gestuelle au centre de la scène.
En combinaison rouge de pilote automobile, casque de moto sur la tête, le costume nous évoque un solo créé il y a 20 ans par Christian Rizzo, Skull*cult, interprété par Rachid Ouramdane en tenue intégrale de motard – solo repris quelques années après sous le titre comme crâne, comme culte. et dansé par le circassien Jean-Baptiste André. Masqués des pieds à la tête, le corps et le visage d’Anna Chirescu ne se dévoileront qu’au fur et à mesure, dans un effeuillage pudique qui, couche après couche, laisse apparaître d’autres états d’être avant de se transformer une dernière fois. Arborant une peau de mouton qui la fait passer d’un corps-machine évoluant sur des rythmes percussifs aux sonorités industrielles à un corps-animal plus organique, la danseuse se tient toujours sur la ligne de crête d’une chorégraphie abstraite ponctuée de clins d’œil à l’imaginaire collectif. Et l’on ressent pleinement les effets de sa pratique aguerrie du Kata, cet art du combat solitaire en karaté, dans ses postures solides sur jambes arquées et ses bras affutés. Entre-temps, elle aura littéralement fusionné avec le capot-carcasse d’une voiture dans une danse qui lui donne des ailes et rappelle la danse serpentine de Loïe Fuller, voiles exceptés. La réminiscence est troublante et les expérimentations ludiques de ce spectacle, paradoxalement accessible à tous·tes, drainent dans leur sillon la mémoire d’autres démarches artistiques iconoclastes.
Auto est un spectacle patchwork qui jamais ne suit une ligne droite, mais avance en errances et tours sur soi. Les bruits de klaxon et d’embouteillage se mêlent au chant lyrique, la danseuse entame un pas de deux avec une voiture télécommandée, le rouge s’invite par touches, tandis que la piste automobile semble muer en une coupe de tronc d’arbre à l’horizontale. Auto est une forme opératique et chorégraphique miniature qui soigne sa plasticité. De la robe métallisée de la chanteuse à l’ensemble de velours noir de la danseuse, en passant par cette bâche de caoutchouc qui mute en carapace, de ce circuit suspendu à ses tours de briques transparentes, tout miroite, engloutit ou renvoie la lumière en un faisceau de sensations fines qui s’interpénètrent les unes les autres. À l’image de ces instants magiques, points de rencontre impromptus entre Anna Chirescu et Margaux Loire, tissant leurs timbres ensemble, en de brèves et émouvantes synchronisations polyphoniques. Et quand l’obscurité se fait, seuls les phares allumés de la voiture-jouet viennent la trouer comme deux yeux perçants tentant de traquer le mystère du mythe. Si Auto est certes le diminutif d’automobile, il est aussi un préfixe courant issu du grec ancien qui signifie « soi ». Le reste est affaire de mobilité. Dans toutes ses acceptions.
Marie Plantin, sceneweb.fr
Retrouvez AUTO aux Passerelles le SAMEDI 22 NOVEMBRE À 17H
Jeune Public \ Théâtre d'objets, Danse & Musique • Durée : 40 min • Dès 6 ans • Tarifs : 6 € / 4 €
Infos et réservations : 01 60 37 29 90 ou sur notre billetterie en ligne
